Un mois est si vite pédalé dans un pays comme le Cambodge. Malgré sa relative petite superficie, on ne s’y ennuie pas sur deux roues. Après avoir passé la première partie de notre séjour sur sa côte, nous avons mis le cap au nord afin de rejoindre sa capitale Phnom Penh. Après un congé de Noël plutôt festif, notre premier jour sur selle est un échec lamentable. Pas capable d’avancer. On s’arrête après seulement 30km tant les jambes ne suivent pas. Pour se déculpabiliser, on part découvrir en fin de journée un temple assez particulier. Pour y accéder, il faut passer par des passages caverneux. Heureusement pour nous, un jeune nous propose d’être notre guide et nous illumine de sa lampe, le chemin à prendre. Pas un touriste en vue, on peut apprécier à notre guise cet endroit inusité. La cour principale est ouverte, ronde et ses parois s’élèvent d’une bonne centaine de mètres. Avec les mots de français et d’anglais qu’il connaît, notre jeune guide nous fait faire le tour en nous expliquant les légendes associées à l’endroit. Nous sommes bien contents d’avoir fait le détour!
Puis, un moment donné, il faut bien avancer! Cela nous prend deux jours afin d’atteindre Phnom Penh. Chemin faisant, nous découvrons le côté plus rural du Cambodge. À ce temps de l’année, les rizières sont plutôt sèches, mais restent jolies. Et le jus de canne frais nous procure l’énergie qu’il nous faut pour se rendre à la capitale. Plus nous nous approchons de la capitale, plus le trafic devient dense et plus diminue l’espace que nous avons pour pédaler. Nous devons nous résoudre à laisser l’asphalte aux véhicules afin de circuler sur l’accotement de terre.
En revenant du temple/caverne Wat Kiri Sela.
Et puis surgit Phnom Penh. Comme Mumbai en Inde, Phnom Penh est d’un contraste saisissant après avoir parcouru la campagne. Toute la fortune du pays semble réunie dans la capitale. Alors qu’ailleurs on sent la pauvreté, ici, on se sent dans un autre monde. Boulevards larges, monuments spectaculaires, parcs verdoyants, restaurants chics. La promenade qui longe le bord du Mékong, véritable poumon de la ville, nous rappelle cependant que nous sommes définitivement en Asie. Les mendiants n’hésitent pas à rentrer dans les restaurants pour vendre leurs bracelets et autres souvenirs aux touristes. Ces enfants côtoient les étrangers qui marchent avec leur escorte cambodgienne et les vendeurs de toutes sortes. Le tourisme sexuel semble assez important, car plus d’une fois nous avons croisé des hommes de plus de 40 ans accompagnés d’une jolie et jeune Cambodgienne. On voudrait pouvoir les insulter et les gifler, mais on ne peut que les regarder passer en serrant les dents.
Malgré cela, Phnom Penh est une ville que nous avons beaucoup appréciée. Plus petite que Bangkok, mais tout aussi vivante, il fait bon s’y promener. En la quittant, nous décidons d’emprunter une petite route qui longe le Mékong sur sa rive ouest. On alterne entre la terre et l’asphalte, mais une chose est constante : la gentillesse des habitants. Les enfants enthousiasmés par notre passage nous crient « hello » de partout. Le Mékong est une source de richesse inestimable pour les habitants. On peut donc comprendre qu’ils sont nombreux à vivre sur ses rives! Pas une parcelle de terre n’est laissée à elle-même et les villages se succèdent si rapidement qu’on ne sait plus trop si on les a dépassés ou pas.
On part de Phnom Penh. À droite, la promenade sur le bord du Mékong.
En fin de journée, alors qu’on se dit qu’il nous sera bien impossible de trouver un endroit pour camper, nous repérons un grand terrain vague entre un temple et le Mékong où quelques vaches broutent paisiblement. Il n’est pas extrêmement tard, mais décidons néanmoins de nous arrêter. Les probabilités de trouver un autre coin de terrain non-habité sont assez minces. On s’assoit sur le gazon en attendant qu’il soit assez tard pour monter notre campement. Des garçons se baignent dans la rivière, c’est paisible, on attend. Et puis, apparaît au loin un bateau de croisière tout en bois qui remonte le Mékong sur notre rive. Nous sommes surpris de le voir s’arrêter à notre hauteur. Les touristes allemands qui y débarquent sont tout aussi surpris de nous voir! Ils partent visiter le temple alors que les employés du bateau, crampons aux pieds, vont faire une partie de soccer avec les jeunes. On en profite pour commencer à préparer notre souper. Et alors que le soleil se couche de façon spectaculaire sur le Mékong, le bateau repart aussi vite qu’il était arrivé et nous pouvons enfin monter notre tente. Nous devons par contre livrer une bataille incroyable aux nombreux insectes volants qui affluent le soleil couché! On se fait vite envahir et même à l’abri dans notre tente, on entend le bourdonnement des insectes qui encerclent notre tente.
On peut enfin relaxer. Ou presque. Arrive un groupe de jeunes qui viennent boire de la bière sur le bord de la rivière. Comment ils font pour ne pas virer fous à cause des insectes est un mystère. L’un deux s’approche de la tente et propose à Yanick de venir boire de la bière avec eux. Il refuse poliment, mais le jeune homme reste debout devant la tente à attendre Yanick. Pendant cinq longues minutes, il attend, nous parle en khmer, puis finit par aller rejoindre ses copains. C’est gentil de sa part de nous avoir invités, mais c’est aussi légèrement stressant de ne pas pouvoir communiquer. Peu de temps après, c’est un moine qui vient faire son tour autour de notre tente. Décidément, on n’a pas choisi l’endroit le plus tranquille! Il pointe sa lampe de poche directement dans la tente et, cigarette au bec, se met à nous faire la conversation dans un anglais approximatif. Puis, au bout de quelques minutes, il repart vers le temple et nous pouvons recommencer à écouter le bruit des insectes.
Coucher de soleil spectaculaire sur le Mékong.
C’est une musique tonitruante qui nous réveille au petit matin. Le vent, qui souffle du nord, nous amène ces mélodies locales. C’est non seulement la saison venteuse au Cambodge, c’est aussi la saison des mariages! En partant à vélo ce matin-là, il nous faut faire au moins 2km afin d’atteindre la source du bruit : un chapiteau monté en pleine rue où quelques personnes discutent. La musique est tellement forte que je ne sais même pas comment ils font pour se comprendre! Nous voyons énormément de ces chapiteaux, montés dans des endroits assez inusités. Qui dirait non à une réception de mariage dans une station-service voyons? C’est tellement romantique!
Le reste de notre itinéraire sur le bord du Mékong est ponctué d’innombrables bonjours, de routes cahoteuses et étonnamment, de villages musulmans. En passant sur la rive est de la mythique rivière, les temples font place aux mosquées et ce sont des fillettes en hijab qui nous saluent. Ne trouvant pas d’endroit pour camper, nous devons pédaler jusqu'à la pénombre afin d’atteindre une ville avec une guesthouse. Exténués, nous ne pouvons pas rester éveillés pour célébrer la nouvelle année et nous nous endormons 9h à peine sonné.
Une belle mosquée sur pilotis.
En quittant Kratie, après s’y être reposés une journée, deux choix s’offrent à nous. Nous pouvons, soit continuer vers le nord et quitter le Cambodge en quelques jours ou faire un détour de 400km vers l’est afin d’aller découvrir les provinces dites sauvages du Mondulkiri et du Ratanakkiri. Disposant encore de plusieurs jours sur notre visa et surtout curieux d’aller voir le « wild east », nous optons pour la seconde option. Après la première journée, on se demande si l’on devait déjà regretter notre choix : nous roulons toute la journée sur une plaine brûlante, sèche et déserte. Mais l’idée de rebrousser chemin nous rebute et nous continuons en direction de Sen Monorom le lendemain. La journée commence encore une fois dans un paysage morne et nous apercevons plusieurs parcelles de terre calcinées par les feux de broussailles. Nous amorçons ensuite notre montée vers Sen Monorom, perché à 800 mètres d’altitude. Presque tout d’un coup, le paysage se transforme en une jungle verte et luxuriante. On a presque envie de pleurer de joie malgré les vallons très pentus. Des arbres, de la nature! C’est que ça commençait à nous manquer la couleur...
On rencontre dans ce parc un voyageur à vélo qui est très content de rencontrer d’autres cyclistes! On reste plus d’une heure sur le bord de la route à parler vélo et voyages. Sven est sur la route de façon non-continue depuis 10 ans et il a plus de 100000km à son actif! Il en a des histoires à conter! Enchantés par notre rencontre et notre environnement revigorant, nous reprenons la route, allègres. Nous profitons de la forêt pour camper tranquilles et cette fois, nous ne serons « dérangés » que par le bruit nocturne de la jungle.
Youpi, des arbres!
Alors que nous continuons d’alterner les montées et les descentes des vallons de la réserve faunique, nous sommes suivis par des hordes de singes gibbons qui sautent de façon spectaculaire et acrobatique entre les arbres. Puis, après plusieurs heures d’efforts, nous arrivons sur un genre de plateau où les pins règnent sur un trône carbonisé. C’est un paysage impressionnant malgré sa désolation. Nous suivons ce tapis noir jusqu’à Sen Monorom, capitale de la province du Mondulkiri, reconnue pour ses excursions à dos d’éléphant. Quant à nous, nous en profitons surtout pour passer une nuit au frais.
On enfile même un gilet à manches longues en repartant le lendemain. Vous imaginez, on est fébrile juste à l’idée de pédaler dans une petite brise... Mais le plaisir et la fraîcheur sont de courte durée alors que le soleil reprend sa position triomphale dans le ciel et nous brûle de ses rayons. Les 200km qui séparent Sen Monorom de Banlung étaient originalement connus comme « l’autoroute de la mort », du fait qu’il était facile de se perdre dans ses pistes qui partaient dans plusieurs directions. Mais depuis que la route a été asphaltée il y a quelques années, elle est évidemment beaucoup moins dangereuse. Dorénavant, le danger réside dans les innombrables feux de brousse qui font rage à tout endroit lors de la saison sèche. Partout autour de nous en pédalant, on voit des colonnes de fumée s’élever dans le ciel. On doit même traverser un épais nuage de fumée de plusieurs centaines de mètres alors qu’un feu embrase les herbes sèches aux abords de la route.
Sur le plateau près de Sen Monorom, le sol est calciné.
C’est une route assez déserte. Quelques villages ici et là où on se fait un devoir de remplir nos poches d’eau. On se rationne, on fait attention à notre utilisation. Cette nuit-là, impossible d’éviter complètement les feux, il y en a partout! On choisit un endroit pour bivouaquer qui est entouré de sable, de l’autre côté de la route d’un feu. Comme le vent souffle dans la bonne direction et que le feu est de l’autre côté de la route, il est impossible qu’il « saute » de notre côté. N’est-ce pas? Rationnellement, les chances sont extrêmement minces, mais émotionnellement, la peur de se réveiller entourés de feu est vive. La nuit tombe en même temps que le vent et le feu cesse de se propager. Il n’en reste pas moins que pendant la nuit, les flammes sont clairement identifiables. C’est un spectacle déprimant mais intense.
Je réussis à dormir les yeux mi-clos, toujours dans une sorte d’énervement. La lueur du jour me voit réveillée, alerte, prête à partir. Pendant la nuit, le feu s’est presque éteint et la fumée noire de la veille a fait place à une fumée résiduelle diaphane. On peut enfin partir! Alors que le déjeuner est englouti et qu’il ne me reste qu’à changer de sandales, j’ouvre ma sacoche, lâche un cri malgré moi et recule de plusieurs pas. Une énorme araignée brune aussi grosse que ma paume s’est réfugiée dans le couvercle de ma sacoche. Et dire que j’ai mis ma main dans ma sacoche plus tôt sans m’en rendre compte! Je suis chanceuse qu’elle ne m’ait pas mordue! Yanick s’occupe de la faire déguerpir avec un bâton alors que j’examine minutieusement mes sandales de vélo afin qu’il ne s’y cache aucune autre surprise!
Enfin, on quitte le feu de brousse!
Ce n’est pas parce qu’un endroit semble désert et inhabité qu’aucune vie n’y existe. Nous voyons de nombreux oiseaux, colorés dans tes teintes de vert et de turquoise. Nous apercevons également une famille de sangliers sauvages ainsi qu’une bestiole qui ressemble à un furet. Du moment que je ne vois pas de serpent, ça me va. La forêt fait peu à peu place à une énorme plantation de palmes et ensuite, à la civilisation. Après avoir traversé la rivière Srepok (la même que dans « Apocalypse Now »), nous montons sur une butte et arrivons à Banlung. Ce petit changement d’altitude fait une grande différence au niveau de la végétation, le vert reprenant ses droits dans le paysage.
Capitale du Ratanakkiri, Banlung est une bourgade agréable ponctuée de cascades et de lacs volcaniques. Nous visitons le lac Yaek Laom, d’une rondeur presque parfaite. Ceinturé d’une jungle luxuriante, c’est un endroit tout désigné pour se baigner et prendre une bonne bouffée d’air frais. C’est notre dernier arrêt avant de traverser au Laos voisin. Ici, un autre choix s’offre à nous. Rejoindre Stung Treng et ensuite prendre l’autoroute jusqu'à la frontière ou essayer un chemin de terre plus court de 50km, mais d’une qualité incertaine.
On choisit évidemment le chemin de terre! En quittant Banlung, la route est poussiéreuse, mais égale jusqu'à Wunsai. On s’y arrête manger et on s’informe de la route qui relie le village à Siem Pang, à 60km de là. Heureusement, un guide local avec un groupe d’étrangers se trouve au même endroit que nous et s’occupe de questionner les habitants. Il y a bel et bien une piste, mais seulement faisable en moto, nous dit-il. Si les motos peuvent y aller, les vélos aussi non? De l’autre côté de la rivière, alors qu’on se renseigne sur la direction de la fameuse piste, un homme parlant très bien anglais nous approche et nous aide. On en profite pour filtrer de l’eau, car on ne sait pas vraiment ce qui nous attend. Son vieil ami éclate de rire lorsqu'il comprend où on veut aller. Comme s’il voulait nous dire « bonne chance »! De toute façon, impensable de rebrousser chemin où nous sommes rendus...
Route entre Banlung et Wunsei, couleur naturelle! Même les feuilles sont poussiéreuses!
On s’engage donc sur la route indiquée et sommes d’abord enchantés par la qualité de la piste. Mais évidemment, elle se dégrade après quelques kilomètres. La belle route de terre se transforme en une route de tracteur puis, en un bac de sable où avancent péniblement les motos. « Ça va sûrement s’améliorer » a été ma pensée alors que je débutais à pousser mon vélo dans le sable blanc, doux et profond. Mais ça ne s’est pas amélioré. Nous passons le restant de l'après-midi à pédaler doucement jusqu'à ce que notre roue avant dérape dans le sable et qu’il nous fasse pousser difficilement le vélo jusqu'au prochain bout de sable un peu plus dur. Nous finissons par camper, couverts de crasse, au milieu de nulle part, à des kilomètres de toute route ou village. Au moins, la nuit a été paisible et le ciel, brillant d’étoiles.
Le lendemain n’est guère plus rapide. Cela nous prend presque toute la journée pour faire 30 petits kilomètres. On pousse sur plusieurs kilomètres nos montures qui, dans ce sable, refusent de rouler. On croise quelques motos qui nous regardent hébétés. Puis, dans la chaleur de l’après-midi, nous voyons enfin la lumière au bout du tunnel : la rivière Kong Kong. On s’assoit, exténués et couverts de sable, en attendant le traversier. Les hommes autour de nous ne peuvent s’empêcher de rire en nous voyant si misérables. Nous sommes affamés, nous avons déjà englouti toutes nos réserves de collations. Le traversier est constitué de trois barques côte à côte recouvertes de planches de bois. Bref, on dirait un radeau avec un moteur.
Piste « bac à sable », que du plaisir!
Pas grave, on est arrivé! Ou presque. La route qui nous amène jusqu'à la frontière laotienne est en terre, mais au moins, elle est compacte! Nous retrouvons le bitume après 3 jours, mais cela nous a semblé bien plus long! En arrivant à la frontière, des touristes sortis d’un bus attendent en ligne pour faire estampiller leur passeport. Ils nous regardent comme si nous venions d’une autre planète. D’accord, on est sale, mais bon, revenez-en! Au moins les douaniers laotiens ne semblent pas dérangés par notre apparence quelque peu amochée et nous laissent entrer au pays! Je n’ai pas vraiment compris pourquoi les Canadiens sont la nationalité qui paie le plus cher pour le visa laotioen, mais ça, c’est un autre sujet.
Pas mal sale! Non, ce n’est pas du bronzage!
L’important, c’est que nous avons pu entrer au Laos sans problème. Nous n’y avons pédalé que très peu jusqu'à présent, mais nos premières impressions sont positives. Il y a très peu de trafic et les gens sont aimables. En arrivant sur Don Khong, l’une des îles des « 4000 îles », nous avons été surpris, en arrivant à une guesthouse, de voir cinq vélos stationnés. Nous avons pu passer la soirée à parler, en français en plus, à plein de cyclotouristes. Quel plaisir de rencontrer des gens sympathiques qui, en plus comprennent les réalités du voyage à vélo! D’ici, 800km nous séparent de Vientiane par la route la plus courte. Que c’est gros le Laos! On ne sait pas encore quel chemin nous emprunterons, mais on sait par contre que celui-ci sera semé de découvertes et de rencontres!
Première journée au Laos, on va au marché...
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