Nous sommes à la croisée des chemins. Après avoir traversé la frontière du Myanmar, on se demande bien quoi faire du mois qu’il nous reste avant que la famille à Yanick vienne nous rejoindre. Initialement, nous désirions aller dans le sud du pays et remonter la côte jusqu'à Bangkok mais l’idée de prendre deux autobus pour s’y rendre nous enchantait guère. Et se rendre directement à Bangkok de Mae Sot serait trop court. Il nous fallait donc penser à une autre solution.
La brigade Surly!
Le problème s’est règlé lorsque nous en avons discuté avec Eric et Jen, couple de cyclotouristes de San Francisco rencontré au Myanmar. Cela faisait déjà une semaine qu’on se suivait plus ou moins et nous avions décidé de rester au même hôtel à Mae Sot. En regardant sur nos cartes, nous remarquons que de cette ville, une route part plein nord et longe la frontière du Myanmar avant de bifurquer vers l’intérieur des terres. Nous décidons de partir ensemble mais un problème d’ordinateur force finalement nos amis à rester une journée de plus à Mae Sot. Nous les reverrons quatre jours plus tard.
Nous appelerons cette première étape l’invasion des fourmis. Bien décidés à profiter de notre équipement de camping qui alourdit inutilement nos bagages depuis des mois, nous débutons notre périple en Thailande en finissant nos journées de vélo en montant un campement où cela semble propice. Au lendemain de notre première nuit de camping, nous constatons que nos sacoches sont infestées de fourmis. Nous prenons le temps de les retirer et de secouer tous nos sacs. En longeant la frontière avec le Myanmar, nous passons devant ce qui semble un immense camp de réfugiés. Sur plusieurs kilomètres, c’est la rivière Moei qui fait acte de séparation entre les deux pays. La route que nous empruntons, la 105, est très peu achalandée et sommes d’abord enchantés par cette constatation. C’est lors de la deuxième journée que nous réalisons pourquoi. Elle est constituée de côtes tellement abruptes que je suis certaine que certains véhicules n’arrivent pas à les surmonter! En quittant la rivière Moei, on ne pouvait se douter qu’un tel défi nous attendait. Une succession de montées et de descentes rivalisant avec la gravité nous font sacrer et suer. Tellement qu’on doit se résoudre à descendre de nos vélos afin de les hisser péniblement jusqu’au sommet des montées. Après une deuxième nuit à se faire voler notre nourriture par les fourmis, nous repartons légèrement énervés dans les montagnes. Nous n’avançons que d’une quarantaine de kilomètres à travers la route maintenant en construction. La progression devient presque dangereuse dans ce gravier, surtout dans les descentes où même si l’on freine au maximum, ce n’est pas suffisant pour arrêter complètement le vélo. Ainsi, le derrière du vélo dérape constamment et nous nous transformons en équilibristes afin de ne pas tomber. J’ai l’impression qu’à chaque article, je parle de l’abrupté des côtes mais celles-la, croyez-moi, c’était réellement les pires!
Un des camps de réfugié longeant la frontière du Myanmar
En fin de journée, nous voyons un panneau indiquant un parc national à quelques kilomètres de la route. Nous décidons d’aller y camper. Nous sommes enchantés lorsque nous y arrivons, une rivière gronde à quelques pas des terrains de camping aménagés et en prime, c’est gratuit. Nous passons plusieurs minutes à examiner la pelouse afin de dénicher les fourmilières et posons la tente à un endroit qui semble peu fréquenté par nos ennemies. Cela faisait à peine quelques minutes que nous avions commencé à cuisiner que déjà quelques-unes venaient fouiner. Et puis, quelques minutes plus tard, nous étions déja envahis. Nous déplaçons alors notre réchaud et mangeons dans un calme relatif et allons nous coucher.
Lorsque l’on se réveille vers minuit, c’est parce que l’on sent comme des chatouillements sur notre peau. Comme plusieurs moustiques qui nous pîquent incessamment. Lorsque nous allumons notre lampe, nous voyons des centaines de fourmis dans la tente. Pas une ou deux, mais une colonie. Les démones ont percé des trous dans le moustiquaire et s’affairent à ramasser des miettes, je suppose. Et elles mordent en plus! On ne peut clairement pas rester ici.
Nous nous affairerons à tout transférer ce qui était à l’intérieur de la tente à un autre endroit et à secouer la tente. Nous décidons de laisser toute notre nourriture à l’endroit actuel pour que les fourmis ne nous suivent pas. Il est passé une heure du matin lorsqu’on s’étend pour une deuxième fois sur nos matelas de sol. Pendant de longues minutes, on imagine encore les fourmis sur notre corps et lorsque je ferme les yeux, j’ai l’impression de les voir encore...
Descente vers Mae Sariang
Nous arrivons finalement à Mae Sariang le lendemain après une autre journée plutôt ardue. Nous décidons de prendre une journée de repos pour se remttre de nos émotions. Décidemment, on connaît un départ assez corsé dans le « pays du sourire ». Nous en profitons pour réparer notre tente et asperger tout notre équipement d’une solution anti-fourmis. Ainsi, l’odeur qu’elles laissent sur leur passage et qui informe toutes les autres fourmis de la terre que notre équipement est un « jackpot », sera enfin effacée.
Après Mae Sariang débute la seconde étape de notre trajet, que nous appelerons « la brigade Surly ». Avec nos amis, nous continuons sur la route 108, reconnue pour ses nombreux virages, montées et descentes. Heureusement pour nous, il y a aussi de nombreux parcs nationaux en bordure de la route, ce qui nous facilite la vie pour trouver des endroits pour dormir. Nous sommes heureux d’avoir de la compagnie et étirons le temps au maximum. Nous prenons notre temps, mangeons beaucoup et passons nos soirées à discuter avec nos nouveaux amis. Je trouve toujours cela un peu incroyable de rencontrer des gens avec qui on devient si rapidement proches. Nos valeurs et intérêts étant grandement similaires, nous avons noué une complicité assez facilement.
Préparation du souper en camping!
La semaine qui suit se passe sans évènement négatif. La route est agréable, et somme toute, moins ardue que ce à quoi on s’attendait . De plus, on ne se fait pas importuner, ni par les fourmis, ni par les Thais! Nous savons qu’à Chiang Mai, nos chemins se séparerons et nous n’avons aucune hâte d’y arriver. Pourtant, c’est dans cette direction que notre brigade se dirige, surnommée la brigade Surly à cause de la marque de nos vélos, qui est la même. Alors que le vélo nous permet d’éviter les hordes de touristes, nous sommes un peu abasourdis lorsque nous arrivons à Pai. Nous la surnommons affectueusement « Farang Town », « farang » signifiant étranger en thai. Pai, la ville des étranges et des étrangers, où il semble y avoir plus de touristes que d’habitants thai.
« I think we need to get out of here », me dit Jen alors nous roulons sur l’artère touristique de la ville. Un seul regard suffit et tout le monde acquiesce. Nous retournous sur nos pas afin de sortir de « farang town » et trouvons un hébergement à l’écart de la ville. Nous devez comprendre que voyager à vélo est un choix que nous faisons justement pour s’écarter de la route disons plus traditionnelle du touriste. Après plusieurs nuits de camping dans une Thailande authentique, où nous sommes les seuls étrangers, arriver dans un endroit hautement touristique est toujours un choc. Et Pai constitue un mystère en soi, car il n’y a rien à faire dans la ville même à part déambuler entre les nombreux restaurants et cafés. Ce n’est pas désagréble, me direz-vous, mais je vous répondrai que ceci n’est pas réellement la Thailande. Du moins, pas ce que nous recherchons.
Encore un endroit parfait pour planter la tente!
On refait le plein de nourriture et de café à Pai et repartons à la conquête de la Thailande authentique. Seulement trois jours de vélo nous séparent de Chiang Mai. Nous aurions aimé qu’il en reste davantage. Le temps passe réellement rapidement en bonne compagnie! Et puis, le moment fatidique arrive enfin, nous arrivons à Chiang Mai. Nous roulons jusqu’au centre-ville poour y découvrir un gros « farang town ». On s’ennuie déja de la route, de la nature, des petits trésors de camping qu’on a trouvés partout en chemin. La moitié des « guesthouses » sont pleines, on prend de grandes respirations.
La Thailande est une destination touristique prisée et je comprends pourquoi : c’est un pays assez morderne, très propre, les gens sont normalement gentils et souriants, et le pays regorde d’endroits à visiter. Mais c’est un pays qui me rend un peu bi-polaire, où je ressens de grands élans de joie et rapidement, des jours de désespoir. Arriver à Chiang Mai a été un coup de massue. Les trois semaines précédant notre arrivée dans cette grosse ville du pays ont été truffées d’authenticité et de découvertes. Et pourtant, c’est comme si Chiang Mai était l’antipode de cette authenticité. C’est une authenticité fabriquée, faite pour plaire aux touristes venus en hâte explorer « tout » le pays. Touristes qui se promènent avec des chapeaux de rizières sur la tête, habillés à la dernière mode « hippie » et qui se fâchent lorsqu’un thai ne comprend pas l’anglais... Loin de moi l’idée de juger les autres, mais lorsque j’observe les gens défiler dans une ville comme Chiang Mai, je ne peux que me questionner sur la pertinence du voyage et du concept d’authenticité. Vivons-nous réellement une expérience authentique lorsque nous allons à tous les lieux dictés par notre guide Lonely Planet? Je me permets d’en douter. D’observer et d’entendre les autres, je me conforte dans l’idée, ou du moins dans l’impression, que je vis un voyage à teneur plus « authentique » que la grande majorité des vacanciers. Et je sais que dorénavant, il me sera bien difficile de retourner en arrière et de voir le voyage autrement que sur une selle de vélo.
Superbe vue dans la descente vers Chiang Mai
Dans cette idée, toujours, de retrouver une authenticité plus grande, nous sommes décidés à rallier Bangkok par les plus petites route possibles. Nous quittons nos amis Jen et Eric et leur disons à la prochaine, car nous sommes bien convaincus qu’on les reverra! Nous avons 700km à faire. En 8 jours. Nous voulons arriver à Bangkok un peu en avance afin d’accueillir la famille à Yanick. Nous suivons la rivière Ping pour sortir de la ville. Puis nous empruntons divers chemins, certains n’étant même pas sur nos cartes. Heureusement, la Thailande a un système de navigation assez facile, car chaque route est assortie d’un numéro. On se perd et on se retrouve. La ruralité a un esthétisme que j’apprécie et surtout, une convivialité qui me fait apprécier voyager à vélo. Les gens sont gentils, curieux, ouverts. On dresse notre tente n’importe où et ça ne semble déranger personne. En fin de journée, dans l’une de ces campagnes si généreuses, nous avons de la difficulté à trouver un endroit propice où camper. C’est alors que nous voyons un panneau qui indique un temple sur une route perpendiculaire. On se décide et y aller et arrivons sur le terrain du temple. Nous demandons, en anglais et en gestes, si l’on peut monter notre tente sur leur terrain. Celui qui semble en charge accepte finalement de bon coeur, il nous amène même un râteau et une bougie pour s’éclairer. On se trouve privilégiés de vivre des moments comme ceux-ci, c’est la récompense que nous apprécions après avoir pris le rsique de s’aventurer sur une route inconnue.
Jusqu'à la hauteur de Kamphaeng Phet, nous sommes enchantés par les routes prises et les paysages. Puis, il devient plus difficile de trouver des routes peu achalandées, la densité de population augmentant plus nous nous approchons de Bangkok. Rendus à Lopburi, nous décidons finalement, pour notre propre sécurité, de prendre un train jusqu’à Bangkok plutôt que de pédaler. On se sauverait ainsi des 100km que nous anticipions énormément. C’est un trajet de train fort intéressant que nous avons eu. Sans le savoir, nous nous sommes assis dans le wagon où une section était réservée pour les moines. Je savais que les femmes n’avaient pas le droit de toucher aux moines mais c’est en en observant un acheter quelque chose que j’ai vu pour la première fois le principe en action. Ainsi, le moine a donné son argent à un jeune homme en face de lui, qui lui, l’a donné à la vendeuse et le produit acheté a parcouru le chemin inverse.
Départ au petit matin après une nuit passée au temple
Mus par le désir d’arriver rapidement en ville (et aussi à cause d’une morsure de tique qui ne guérissait pas) nous sommes donc arriver un peu plus tôt que prévu en ville. Heureusement, un cousin éloigné de la famille Asselin , vivant à Bangkok depuis 25 ans, nous y attendait. Nous avons donc été chaudement accueillis par cette charmante famille thaïe. On m’a donc amenée à l’hôpital, autre phénomène assez intéressant en Thailande. Il y a deux vitesses à leur système de santé, les hôpitaux privés et publics. Je me suis présentée à l’urgence d’unhôpital privé, et après avoir ouvert un dossier rapidement, on a inspecté la plaie et tout de suite dirigé vers un spécialiste. L’hôpital est divisé en plusieurs cliniques et je suis allée à celle spécialisée en dermarologie. Je dois dire que j’ai été assez impressionnée par le fait d’avoir vu une dermarologue en moins de 30 minutes alors que seulement obtenir un rendez-vous au Québec m’aurait pris un an. À voir la modernité de l’hôpital et la rapidité avec laquelle on m’avait traitée, je m’attendais à payer une facture salée. Je ne vous dirai pas combien j’ai payé, mais c’était très raisonnable!
Nous faisons maintenant une autre pause de vélo pendant trois semaines afin d’explorer le pays autrement avec la famille à Yanick. On va essayer le plus possible de respecter notre mentalité de voyage mais nous sommes conscients que ce sera bien différent que voyager à vélo. Mais avec plus de 8000km de vélo, on mérite bien une petite pause, n’est-ce pas?
Derniers coups de pédale de la brigade Surly!