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Un dernier Mingalabar au pays de Suu Kyi

Le soleil plombe, mes mains glissent de mon guidon. J’essaie de les essuyer sur mes vêtements mais ceux-ci dans le même état d’extrême humidité que le reste de mon corps. Il faut s’accrocher, pourtant, le pourcentage de pente étant impardonnable. C’est le prix à payer pour atteindre une altitude qui soit confortable. Nous avons quitté Mandalay, ville agréable et intéressante bien que très chaude, dans l’espoir de pouvoir se rendre au lac Inle quelque 800 mètres plus haut.


Après une courte journée moyennement plaisante sur la principale autoroute du pays, nous avons bifurqué vers les montagnes environnantes. La route est tranquille, les gens, évidemment incroyablement gentils. En prenant cette route secondaire, nous évitons les autoroutes plus achalandées et nous nous plongeons une fois de plus dans un coin de pays plutôt authentique. De ce fait, nous pénétrons dans la province Shan dont les habitants du même nom constituent le second groupe ethnique en importance après les « Bamar ». L’une des raisons pourquoi le pays s’appelle maintenant Myanmar et non plus Birmanie est que les « Bamar » ne forment que 70% de la population et que le nom Myanmar est plus inclusif de la diversité présente dans ce pays.


On entre dans la province Shan et on se rapproche des montagnes!


La province Shan est plutôt montagneuse et nous le découvrons assez rapidement. La route secondaire choisie ne tarde pas à monter et ce, de façon assez abrupte. On force comme des forcenés à chaque coup de pédale et on se cramponne à notre guidon afin de ne pas perdre le momentum. Mais il n’en reste pas moins que c’est ridiculement à pic et que chaque virage défie les lois de la gravité. Nous sommes à la toute dernière limite de ce qui est possible de pédaler. Cela dit, la vue est à couper le souffle et nous pouvons voir toutes les plaines centrales du Myanmar. Notre marathon est exténuant, 5 heures d’efforts à seulement 5 km/h. Il est plus de 15h quand nous arrivons finalement à ce qui semble être le sommet. On va manger dans le seul restaurant et le propriétaire nous assure que nous sommes bien au sommet. Enfin! À peine repartis, nous comprenons que ce n’était pas réellement le vrai sommet et que nous sommes encore loin d’être au bout de nos peines. Nous remontons ensuite 4 autres « sommets » pour finalement arriver au dernier, le soleil presque couché et sous la pluie. Nous sommes passés de 30 à 1600 mètres d’altitude en une journée, probablement le plus gros dénivelé chargé fait en une journée depuis le début du voyage.


Après le réel sommet, nous redescendons légèrement jusqu'au village de Ywangan, à cette heure plongé dans l’obscurité. Il est passé 18h lorsque l’on voit finalement l’hôtel de la ville. On est trempé et épuisé, cela fait depuis 7h30 le matin que l’on roule et il n’y a pas d’électricité dans tout le village. Mais malgré les efforts titanesques déployés dans la journée, nous sommes heureux d’enfin renouer avec la fraîcheur des montagnes.


Des enfants nous saluent près de Ywangan.


Le lendemain matin, le ciel est d’un gris menaçant. Nous quittons néanmoins notre petit bungalow afin de pédaler dans les montagnes. Nous sommes tristes que la visibilité soit aussi nulle, car le paysage semble époustouflant. Un vent féroce nous souffle dans le visage et nous ralentit considérablement pendant plusieurs dizaines de kilomètres. Malgré une nuit réparatrice, nous sentons nos muscles se déchirer à chaque coup de pédale. Les butons normalement aisément montés sont une torture avec cette bourrasque et nos muscles affaiblis. Autour de nous, les agriculteurs sont en pleine période de récolte et on voit littéralement des choux-fleurs et des choux voler lorsque les fermiers les empilent dans des camions de livraison. Du moment qu’il ne m’en tombe pas un sur la tête, ça me va... Nous atteignons Pindaya dans la pluie, encore une fois après avoir rejoint la route principale. Et comme partout au pays, nous devons obligatoirement aller dormir à l’un des hôtels qui détient un permis pour accueillir les étrangers. C’est le seul bémol que nous avons trouvé au pays, cette contrainte qui nous oblige à pédaler des distances considérables entre chaque hôtel. Et comme chaque nuit, nous grinçons des dents quand vient l’heure de payer le prix demandé par l’hôtel, le double de ce que nous avons payé dans tous les autres pays précédemment parcourus.


Nous découvrons les « Shan noodle », genre de salade de nouilles chaudes à base d’une sauce aux arachides riche et à l’huile de chili et d’ail. C’est délicieux, mais les portions sont toujours trop petites! Comme c’est l’un des seuls plats dont on peut prononcer le nom, on en mange souvent et c’est tant mieux! Nous hésitons le lendemain matin à partir directement vers le lac Inle ou aller visiter les grottes naturelles qui font la fierté du village. En voyant une parcelle de ciel bleu à travers le soleil levant, nous décidons d’enfourcher nos vélos et de profiter d’un peu de beau temps. Nous nous aventurons sur une petite route campagnarde à peine visible sur nos cartes. Cela s’avèrera un choix judicieux, car cette route fut probablement l’une des plus spectaculaires de notre mois au Myanamar. Cette partie du pays étant vallonnée et densément cultivée, chaque kilomètre était un spectacle en soi. On n’aurait pas pu rêver mieux : un paysage de carte postale, des habitants sympathiques, un fond d’air frais et un soleil juste assez chaud... C’était assez émouvant de pédaler dans cet endroit. Les champs labourés ressemblaient à une courtepointe, des carrés unis latéralement avec toutes les nuances de vert inimaginables. Et une terre d’un rouge fertile me faisant penser au sol de l’Ile-du-Prince-Édouard.


Notre route préférée en quittant Pindaya!


L’arrivée au lac Inle se fait en douceur. Nous y restons quelques jours, histoire de recharger les batteries et de découvrir le lac. Le mauvais temps des derniers jours nous rattrape et il pleut presque en continu. Pas fameux pour les photos, mais génial pour la température! Notre dernière journée marque le début du festival Phaung Daw Oo Paya, qui a lieu chaque année sur le lac. Pour l’occasion, nous mettons le réveil à 5h afin d’assister à la cérémonie d’ouverture du festival qui a lieu à plus d’une heure de bateau. On assiste alors à un défilé où chaque village, avec tous les hommes habillés pareillement, pagaient ensemble devant la pagode, reine du festival. La cérémonie dure environ une heure et ensuite tous les spectateurs se dispersent et semblent retourner vaquer à leurs occupations... Nous en profitons pour explorer le lac. C’est fascinant de voir des villages entiers sur pilotis où la vie ne semble pas avoir beaucoup évolué. Sur le lac, il y a des fabriques de vêtements où les femmes utilisent les filaments intérieurs de la branche de lotus. Avec 4000 de ces branches, elles peuvent faire un foulard, à la main évidemment! On retrouve toutes sortes de boutiques, de restaurants, des bureaux de poste, des écoles... Et tout sur pilotis. Les bus scolaires sont des bateaux à moteur. C’est fascinant. Alors que les nuages font place au soleil, nous pouvons alors mesurer l’immense beauté du lac Inle. Au retour, nous passons par des jardins flottants où poussent tomates, courges, concombres. Fascinant, je vous le dis. C’est un lieu unique où les pêcheurs, afin d’avoir les deux mains libres pour manier leur filet, entortillent leur jambe autour de la pagaie et avancent de la sorte. Jamais je n’ai vu un endroit semblable, touristique en restant d’une authenticité foudroyante.


Les hommes d’un village en route pour le festival.


Nous revenons de notre balade à bateau à temps pour faire les sacoches, se rendre au terminus de bus et prendre notre bus de nuit. Ne disposant que d’un visa de 28 jours, il ne nous restait pas assez de temps pour pédaler jusqu’à Bago et sortir du pays. C’est donc le bus qui nous y amènera. Après 12 heures dans un bus plus ou moins confortable, nous arrivons à Bago. Il est 6h du matin, nous n’avons pas dormi de la nuit et nous sommes réveillés depuis 5h la veille. Sommes-nous fatigués? Oui, monsieur! Et combien devez-nous pédaler aujourd'hui déjà? Ah oui, 90 km. On se met au travail avant que le soleil soit trop puissant. Un vent de face nous force à pousser un peu plus sur les pédales et mes muscles courbaturés sont loin d’être ravis. À Kyaikto, nous décidons de ne pas aller voir « la roche dorée », attraction touristique majeure du pays qui est en fait une roche en or en suspension au sommet d’une colline. Paraît que ce sont les cheveux de Buddha qui l’empêchent de tomber. Moi qui pensais qu’il avait toujours été chauve...


Cette décision ne permettra de rencontrer nos premiers cyclistes! Depuis le Ladakh, soit il y a presque 3 mois, nous n’avons pas rencontré un cyclotouriste! Lorsque je vois Eric et Jen arriver à notre hôtel, je sors en courant les saluer. Je devais avoir l’air un peu hystérique tellement j’étais contente de voir des voyageurs comme nous! Et comble du bonheur, ils s’en vont dans la même direction que nous. Cette première constituera l’une de nos nombreuses soirées de discussion.



Maisons sur pillotis au lac Inle.


La route de Bago jusqu'à la ville frontière de Myawaddy passe par une province où une autre minorité a élu domicile. Nous sommes en territoire Karen, seul peuple n’ayant jamais dans l'histoire du pays, signé d’entente avec le gouvernement militaire. Dire qu’ils fondent beaucoup d’espoir en l’élection du NLD est un euphémisme. C’est un peuple fier, mais aussi sympathique. Alors que nous sommes arrêtés dans un abribus pour prendre une pause et manger un pomelo, un monsieur commence à nous parler. Par parler, je veux dire gesticuler. On comprend qu’il nous invite à venir manger notre fruit chez lui, juste à côté. On s’assit à la terrasse avant de la maison et l’intarissable thé chinois nous est offert. Je dois en avoir bu 2 litres. Nous « discutons » un moment, puis nous demandons l’autorisation de prendre des photos. Ça n’en prenait pas plus pour que toute la famille vienne poser pour nous. On nous amène ensuite au temple en haut de la colline où l’on prend d’autres photos. Lorsque l’on revient, on nous invite à manger. Nous commençons par décliner, mais comprenons rapidement que tout a été préparé pendant notre absence et qu’il est impossible de refuser! De bons curries typiquement birmans (avec la couche d’huile qui vient avec) nous sont offerts. On nous invite même à coucher, et on sent que ça leur ferait vraiment plaisir, mais on refuse poliment ne voulant pas qu’ils s’attirent de soucis par notre présence. Deux heures après s’être simplement arrêtés pour se protéger du soleil, nous remercions chaleureusement nos hôtes et partons le ventre plein, encore plus touchés par la générosité incroyable des gens du Myanmar.


Notre hôte tient le dernier-né dans ses bras.


Nos derniers jours au Myanmar sont tantôt sensationnels, tantôt ardus. Nous découvrons nos premiers paysages karstiques. Des montagnes et des rochers avec des formes étonnantes, toujours coupées au couteau et qui semblent sortis de nulle part. Les paysages autour de Hpa-an sont magnifiques, tout comme notre vue incroyable de l’hôtel! Puis, il ne nous reste déjà qu’une seule journée au pays et malheureusement, elle s’avèrera aussi la pire de tout le Myanmar. Pendant plus de 90km, nous évoluons sur une route très cahoteuse, où les véhicules lourds en direction de la Thaïlande nous dépassent par centaines et où la chaleur de l’après-midi est à la limite du supportable. En arrivant à Kawkreik, dernière ville avant la frontière, nous pensons que notre calvaire tire à sa fin. Dans le seul hôtel de la ville, il n’y a pas de courant. Et lorsque l’électricité arrive enfin à 18h et que nous mettons en marche le ventilateur, elle ne dure que quelques heures. En plus de devoir mettre notre matelas gonflable sur le lit tellement il est dur, nous passons une nuit d’enfer à suer et à tenter de dormir. En vain. À peine le soleil levé, nous sommes en selle pour affronter notre dernier défi au pays : les montagnes. Ces dernières s’avèreront moins difficiles que prévu et nous arrivons à 10h30 à Myawaddy, ville frontière avec la Thaïlande. Nous profitons du fait qu’il nous reste l’équivalent de 5$ de monnaie locale pour prendre une dernière bière en sol birman.


Paysage karstique autour de Hpa-an.


Les gens au Myanmar sont tellement gentils que même les douaniers sont sympathiques! Le jeune homme qui étampe nos passeports nous demande comment a été notre séjour dans son pays en nous souriant. On ne verrait pas ça au Canada certain! Sur le pont qui nous fait traverser en Thaïlande, on change de bord de conduite et on lance nos adieux à ce pays qui a été si bon pour nous. Un dernier Mingalabar et puis un premier Pad Thai. À Mae Sot, du côté Thaïlandais, on retrouve nos amis, Eric et Jen, et on planifie notre trajet jusqu'à Chiang Mai, en passant par Mae Hong Son. Nous partirons à 4 demain matin à la découverte des montagnes et minorités thaïlandaises. Et espérons que les montagnes célèbres pour leur pentes abruptes seront clémentes...


Au revoir Myanmar!

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