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Faux-départ à Sumatra

1. Quel est le pire ennemi du cyclotouriste à Sumatra?

a) L’humidité ambiante qui doit certainement dépasser 100%

b) Les côtes impitoyablement abruptes qui dépassent parfois 30%

c) Les mosquées qui le réveillent à 5h du matin

d) Les enfants à 11h30 à la sortie des classes

e) Toutes ces réponses

Si vous avez hésité entre d) et e) je vous comprends. J’aurais fait la même chose. Mais la bonne réponse est définitivement e)!

2. Dans ce contexte, qu’est-ce qui réjouit le cyclotouriste?

a) Le meilleur café du monde

b) Découvrir les lacs Maninjau et Toba

c) Interagir avec les peuples Minang et Batak

d) Savoir que les côtes ont nécessairement une fin

e) Toutes ces réponses

Le café est un argument de poids, je le sais, mais c’est encore e) qu’il fallait répondre!

3. Question bonus! Que faut-il faire lorsqu’une pluie torrentielle a trouvé le moyen

d’entrer dans vos sacs et de mouiller votre passeport?

a) Appeler sa mère

b) Pleurer

c) Appeler sa mère, en pleurant

d) Appeler son ambassade à Jakarta, remplir une panoplie de formulaires, envoyer son passeport endommagé et faire une demande pour obtenir un nouveau passeport qui sera, au mieux, prêt dans un mois.

L’envie d’appeler sa mère en pleurant est grande, mais c’est d’abord l’ambassade qu’il faut contacter. Si vous êtes chanceux, ils ne comprendront pas du tout l’urgence de la situation, vous donneront des informations contradictoires tout en vous demandant d’attendre vingt jours ouvrables avant de recevoir un nouveau passeport et en prime, ils vous feront payer la rondelette somme de 250$. Avec cette offre spéciale, votre visa risque d’expirer pendant que vous attendez patiemment votre nouveau passeport, mais on vous dira quand même qu’il faut reprendre d’autres photos, car celles que vous avez envoyées ne sont pas d’assez bonne qualité. Cela mettra évidemment votre dossier en suspens. Et vous, au beau milieu de Sumatra, tenterez avec une pointe de désespoir de trouver quelqu’un dans cette jungle qui a) parle anglais, b) détient un studio de photo « professionnel », c) comprend toutes les exigences et technicalités des photos du passeport canadien. Bonne chance! Et une fois que vous aurez votre passeport et que vous vous retrouvez en sol indonésien de façon illégale, car vous n’avez aucun tampon d’estampillé dans votre carnet flambant neuf? Ceci n’est plus du ressort de Passeports Canada voyons!


Sur la plage à Gili Air.



À peine avions-nous eu le temps de faire quelques coups de pédale sur Sumatra, que nous est arrivé cet incident. Le casse-tête administratif qui a suivi a été assez pénible, mais à l’heure actuelle, tout ce qu’on peut faire c’est attendre de recevoir le nouveau passeport et espérer qu’on nous laisse sortir du pays sans trop de problèmes. Évidemment, nous ne restons pas les bras croisés pendant les 20 jours ouvrables plus les fins de semaine et décidons de reprendre notre périple à vélo là où nous l’avions laissé.


Mais bon, si d’abord nous repartions depuis le début. Avant de débarquer avec notre barda sur l’île de Sumatra, nous avons passé trois semaines à Bali et Lombok avec la famille. En terme de destination, je dois avouer que nous avons trouvé Bali décevante. Nous ne nous attendions pas à ce que l’industrie touristique y soit si omniprésente. N’empêche, les beautés naturelles sont nombreuses, les Balinais sont charmants et les océans regorgent de poissons et coraux étonnants. Malgré quelques frustrations d’ordre administratif concernant cette fois-ci l’extension de nos visas, nous avons profité de ces quelques semaines pour faire le plein. D’amour familial. De bouffe. De bière. Et aussi de ces éternelles niaiseries qui font de chaque famille un ensemble à la fois si banal et si unique. C’est dans la tristesse que nous nous sommes dits aurevoir. L’avion ramenant ma famille vers Montréal était annulé en raison d’un typhon à Taipei. Un autre dédale administratif les a finalement ramenés avec une journée de retard. Mais après avoir passé trois semaines ensemble, c’est aux neuf mois suivants séparés qu’il ne faut pas trop penser.


Toute la famille à Bali!



C’est donc quelque peu anxieux que nous avons pris notre avion pour Padang. De ne pas trop savoir ce qui se passerait avec le vol retardé. Bien que nous ayons les fourmis dans les jambes de recommencer à pédaler après cette longue pause, le retour au vélo n’a pas été si facile et naturel qu’on le pensait. Évidemment, toute cette histoire de passeport a jeté une ombre assez imposante sur notre fébrilité, mais c’est surtout l’adaptation à ce nouveau «pays » qui a été difficile. Il faut dire que Sumatra est tout l’opposée de Bali en terme de destination touristique. Sauvage, infrastructures pratiquement inexistantes, anglais rare. Après la facilité de Bali, on a dû se « remettre dedans ». La chaleur, l’inconfort, l’inconnu, les défis. Et essayer de ne pas trop la comparer à l’Inde, notre seul élément de référence.


Notre premier objectif est Bukittinggi que nous voulions atteindre en trois jours en passant par le lac Maninjau. L’humidité ambiante nous écrase, on a peine à respirer dans ce climat tropical. Mais il faut, pour se rendre au lac Maninjau, monter en altitude. C’est en se rendant au lac (et ironiquement le jour de notre anniversaire de mariage) que nous sommes pris dans ce déluge torrentiel qui mouillera mon passeport. En arrivant à la guesthouse qui est aux abords du lac, nous tâtons rapidement l’intérieur des sacs pour s’assurer que tout est au sec. Mon passeport se trouve à portée de main, dans mon sac de guidon qui contient également tout l’attirail photographique et le tout est protégé par un recouvre-sac imperméable qui a fait ses preuves dans les six derniers mois. J’ouvre le sac, inquiète pour la caméra, mais tout est sec. C’est par le dessous que l’eau s’est infiltrée, et mon passeport, caché sous la caméra, a littéralement absorbé tout l’eau comme une éponge. Mais je ne le découvrirai que deux jours plus tard, en faisant le check-in à Bukittinggi. Pour ma défense, il faut préciser que j’avais pédalé une bonne partie de l’après-midi sous une pluie constante, j’avais les jambes en compote et je voulais profiter du temps qui restait pour célébrer mon anniversaire de mariage. Disons alors que j’ai vérifié mes trucs assez sommairement. Et cela a donné le résultat qu’on connaît.


On devine le lac Maninjau derrière ce bâtiment typique Minang.



N’y revenons pas pour l’instant. Le lac, malgré les nuages, était magnifique. Tout autour du lac, des rizières en terrasses profitaient de la fertilité que leur offre cet ancien volcan devenu caldeira (nouveau mot appris!). Ici, on est en territoire Minangkabau, peuple ancestral qui fonctionne dans un système matriarcal assez unique. C’est donc, en théorie du moins, les femmes qui héritent, qui sont propriétaires des terres et qui dirigent la maisonnée. Je ne suis pas anthropologue, je ne sais pas ce qui se passe en réalité. Mais ce que je peux en constater de mes yeux de voyageuse, c’est qu’il se dégage de ce peuple une gentillesse et une ouverture d’esprit exceptionnelles. On a eu un véritable coup de coeur pour ces gens au sourire qui n’a d’égal que leur bienveillance.


Arrivant dans un pays musulman, j’avais quelques appréhensions face au fait d’être une femme et de pédaler en shorts. Comme on a eu des réactions d’incompréhension en Inde, on s’attendait au même scénario ici. Ou pire. On réalise au fond qu’au Québec, et disons surtout au Canada, on monte une énorme campagne de peur contre les musulmans, les extrémistes, les terroristes. On les met tous dans le même panier. Je ne nie pas qu’il existe effectivement des problèmes d’ordre d’extrémisme religieux au sein de la communauté musulmane, mais je m’attendais à arriver ici comme en Arabie Saoudite. Et j’ai été positivement surprise de constater à quel point mes craintes étaient infondées. De ce que nous avons vu en général, et particulièrement chez les Minang, c’est que les femmes font partie intégrante d’une société où elles évoluent librement. D’abord, ce ne sont pas toutes les femmes qui sont voilées et lorsqu’elles le sont, c’est fait de façon tellement coquette que c’est difficile d’imaginer ces femmes brimées. En fait, les femmes ici semblent beaucoup plus libérées que ce que nous avons vu en Inde. Elles travaillent, parlent anglais, nous abordent dans la rue et nous sourient sans cesse. Ce n’est sûrement pas l’égalité homme-femme absolue, mais ce peuple a déconstruit dans mon esprit le mythe de la femme musulmane recluse et réprimée. Et pas de burqa en vue. C’est dire qu’on gaspille beaucoup d’encre au Québec...


Impressionnante vallée de Harau.



Bref, ce peuple nous a réjouis, étonné. Et a mis la barre haute pour les autres... En quittant Bukittinggi, après nous y être arrêtés deux jours pour régler notre problème consulaire, nous avons mis cap vers la vallée de Harau, quelques 50 kilomètres à l’est. Cela constituait un détour de notre route qui nous amène au nord vers le lac Toba, mais comme on s’était fait vanter la beauté du lieu, on a décidé de tenter le coup. On ne l’a pas regretté. La route pour s’y rendre avait un trafic infernal, mais dès que nous sommes entrés dans la vallée, c’est comme si le temps s’était arrêté. Paisible, impressionnante, Harau est spectaculaire car d’interminables rizières verdoyantes arrivent au pied de falaises verticales insaisissables. L’effet est immédiat. On comprend pourquoi ces parois constituent un site d’escalade incroyable. Ce qu’on donnerait pour troquer nos sandales pour nos chaussons pour une journée ou deux. Mais, après s’être arrêtés plus longtemps que prévu à Bukittinggi, on a envie d’avancer. L’impression de stagner nous donne du mal à retrouver notre rythme de vélo. On repart donc le lendemain. Nous pouvons, soit faire marche arrière et revenir à Bukittinggi pour emprunter la Trans Sumatra vers le nord ou essayer de trouver la route qui coupe directement vers les montagnes et rejoint la Trans Sumatra à quelques 30 km au nord de la ville. C’est du moins une route qui existe sur notre carte mais, qui paraît-il, est en mauvais état. Bah! Essayons-la tout de même! Cette journée est un délice jusqu'à environ 14h. Avant cette heure, on rencontre un groupe de plusieurs centaines de cyclistes qui pédalent en sens inverse et qui sont fous de joie de nous voir. Fait à préciser, la plupart sont des femmes avec leur voile qui semblent faire une balade en s’amusant. Décidément, cette île est étonnante!


Après 14h, ça se gâte. Toute la journée, on a demandé notre chemin et on semble dans la bonne direction. La route est même asphaltée. C’est magnifique malgré les degrés de pente qui sont aberrants. Puis, on nous dit de bifurquer sur une route de garnotte, que dis-je, de pierres et qu’on sera au lieu désiré dans environ 10 à 15 km. On s’y engage donc, plein d’espoir. La route ne fait que monter et descendre, à répétition. On passe dans de minuscules villages. On ne voit que des motos. Après une heure, on commence à s’inquiéter. C’est moi ou on va vers le sud? On est perdu. Les gens ne nous comprennent pas malgré nos dictionnaires et on continue d’avancer sur cette route merdique car rebrousser chemin serait bien trop déprimant. On pousse les vélos dans des côtes qui défient les lois de la gravité, on sue, on a faim. On établit quelles sont nos options, qu’on devra camper dans la brousse. On se dit qu’on arrêtera au prochain village manger un peu et camper. Puis, au détour d’un virage, après avoir pris cette résolution, l’asphalte apparaît comme un mirage. Que se passe-t-il? On reprend espoir, ah, on devrait être proches! Mais lorsqu’on demande combien de kilomètres il reste avant la ville où, sur notre carte, la route secondaire rejoint l’autoroute, on nous dit : 40km. On est consterné. Quoi? Mais il en restait 10 il y a trois heures! Comment est-ce que ça se peut? On arrête néanmoins au village suivant et engageons la discussion comme nous le pouvons dans le restaurant. La propriétaire parle quelques mots d’anglais et nous réussissons à comprendre où nous sommes sur la carte. À 10 km de la route principale certes, mais 20km plus au sud que nous l’avions prévu. Ça nous apprendra à se fier à des cartes indonésiennes aussi...On nous propose gentiment de mettre notre tente derrière l’école. On a donc un public très curieux pendant la soirée et le matin qui suivra. Le village semble nous avoir adoptés le temps d’une nuit. Tant mieux, on dormira tranquilles!


Enfin sur le bon chemin, on traverse l’équateur!



Les 10km qui nous mènent à la Trans Sumatra le lendemain sont aussi à pic que des montagnes russes. Mais on a pratiquement envie d’embrasser l’asphalte de l’autoroute tant on pensait ne jamais la trouver. On s’y engage donc heureux pour les plusieurs centaines de kilomètres qui nous séparent du lac Toba. Mais notre bonheur sera de courte durée. Plus on roule vers le nord, plus les « Hello Mister » que nous lancent presque tous les Indonésiens commencent à nous tomber sur les nerfs. En fait, on a répertorié une poignée d’expressions anglaises que l’habitant moyen rencontré nous hurle lorsqu’on passe pour nous impressionner. Le plus répandu, le plus énervant et qui ne change pas de genre est le « hello mister ». Au début c’est drôle, mais après plusieurs journées consécutives à se faire appeler monsieur, on commence à avoir de sérieux doutes sur son apparence physique. Les autres expressions connues des Indonésiens sont « how are you », « what is your name », « where you going », « I love you » et le plus croustillant de tous, « fuck you ».


Lorsque nous quittons la province du Sumatra de l’ouest (et nos gentils amis Minang!) et entrons dans celle du Sumatra du Nord, il se passe une véritable transformation dans les attitudes. Toutes les expressions citées plus haut deviennent monnaie courante. Mais surtout, c’est le ton sur lequel les gens nous lancent ces phrases qui étonne. Sur près de 400km, on se fait crier dessus à chaque mètre, insulter, pointer du doigt. On est abasourdis d’avoir soudainement une réaction si négative. Ce n’est jamais arrivé par le passé. Je crois que le plus frustrant, c’est de se faire pointer du doigt et de se faire crier dessus « touriste » par tous les enfants sur le bord de la route. D’accord, on est dans une région pas du tout touristique, c’est normal que les gens soient surpris. Mais se faire insulter de façon si hostile, c’est d’autant plus surprenant. Psychologiquement, ces réactions nous affectent énormément. On ne fait que passer village après village des gens qui se moquent ouvertement de nous. C’est encore plus frappant le 17 août, fête nationale de l’indépendance indonésienne. On ne sait plus quoi faire, on n’arrive plus à être souriants et à répondre aux salutations de tous. Notre hantise devient la sortie des classes des étudiants qui, en bons enfants mal éduqués, se moquent de nous sans vergogne. D’accord, ce ne sont que des enfants, ils font ça pour se rendre intéressants. Mais il arrive un point où leur « fuck you » est la plus blessante des insultes. Débute alors un véritable marathon où le seul but est d’arriver au lac Toba le plus vite possible. On pédale 8 heures par jour, des journées de plus de 100km, rien n’est assez rapide pour nous faire oublier cette abominable route. Bref, une semaine à oublier.


Le vert éclatant des jeunes pousses de riz.



Et puis, encore presque soudainement, on voit apparaître des églises. Beaucoup d’églises. On arrive finalement en terre Batak. Le lac Toba est tout près. Les gens se radoucissent et nous aussi. À 1000m d’altitude, l’humidité a pris un break et on est confortable. Et rien ne vaut la vue époustouflante du lac Toba qu’on a alors et que j’ai toujours en écrivant cet article. On décide de se rendre jusqu'à l’île Samosir, qui trône au centre du lac. Île qui fait la grosseur de Singapour et dont les parois s’élèvent à plus de 1500m d’altitude. Île qui représente pour nous le repos enfin mérité. Plus grand lac d’Asie du sud-est et plus grosse caldeira du monde, le lac Toba est magique. Et les Batak qui y vivent sont gentils, polis et cuisinent très bien! Plus de deux semaines après être arrivés à Sumatra et surtout après 800km et un passeport mouillé, les jambes et l’esprit n’avaient plus beaucoup de batterie. Alors, quand on mange un ''fish and chips'' extraordinaire dans un endroit qui l’est tout autant, on se dit qu’on l’a bien mérité.

Pour finir, je vous laisse sur la dernière question de notre questionnaire. Lesquels de ces fruits exotiques de Sumatra remporte le plus de points au Scrabble?

a) Mangoustan

b) Durian

c) Salak

d) Ramboutan

Si vous ne le savez pas, demandez à mon père! Et ne manquez pas dans notre prochain épisode, une rencontre avec nos semblables, les orangs-outans! À la prochaine!


Enfin arrivés au lac Toba!

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