top of page

Srinagar-Leh : Un paradis cyclotouristique

Cashemire et Ladakh. Deux mots qui ronronnent à nos oreilles de voyageurs depuis plusieurs années. Deux régions de l’Inde aussi merveilleuses qu’impardonnables, confinées à l’extrême nord-ouest du pays. La première, verte, luxuriante, abritant une population musulmane fière et indépendantiste. La seconde, aride, désertique, mais d’une beauté subtile et étonnante. Ce sont ces deux régions, reliées entre Srinagar et Leh, d’une route éblouissante, que nous sommes venus découvrir en ce début frémissant d’été.

Le lac Dal à Srinagar.



Nous sommes soulagés d’arriver à Srinagar. Depuis Kochi, nous avons dû remonter pratiquement l’Inde dans son entièreté. Delhi, Jammu, Srinagar. Presque une semaine de voyagement entre la chaleur étouffante (52 degrés!) de Delhi et les trains à l’air climatisé. Une semaine à trimballer les vélos dans les gares, les trains, les camions, à se ronger les ongles, à espérer qu’ils arrivent en un morceau à Srinagar. Alors c’est un stress immense qui s’est estompé lorsque nous avons pédalé aux abords du lac Dal, emblème de Srinagar.


Mais évidemment, l’épreuve la plus difficile était à venir. La route Srinagar-Leh, quelque 434 kilomètres à travers vallées et cols, seulement accessible quatre mois par année. En fait, c’est notre « route d’approche », notre préparation à la plus haute route du monde qui relie Leh à Manali. Ça n’avait rien à voir avec un réchauffement, finalement. Ou du moins, si c’en était un, disons qu’il était corsé! De Srinagar, nous remontons la vallée du Cachemire jusqu'à Sonamarg, haut-lieu du tourisme cachemiri. La plupart des véhicules s’arrêtent dans ce village qui emprunte des allures à la Suisse. Enfin, on peut sortir notre tente des sacoches et profiter de l’air pur en plein air!


La vue en arrivant à Sonamarg, à moitié Suisse.



Le lendemain, c’est un peu inconscients que nous partons affronter la plus dure épreuve de notre parcours en Inde. Le Zojila. Le col le plus bas que nous avons à traverser, à 3700m d’altitude. Mais surtout le col le plus dangereux et le plus éprouvant de tous, avec comme seule route des roches, de la terre, des ruisseaux et des pentes atteignant les 15%. Nous avançons péniblement et réalisons rapidement que plus aucun véhicule ne nous dépasse. C’est que le col est fermé dans notre direction, car les travailleurs provoquent des éboulis afin de niveler la route. On se sent vite seuls au monde, à forcer comme des déchaînés entre les différents obstacles de la route. On ne voit pas le bout pendant plusieurs heures et c’est seulement en milieu d’après-midi que nous voyons la pierre qui indique le col. Malgré notre fatigue extrême, nous ne pouvons rester bien longtemps là-haut. Depuis que nous sommes partis, la pluie nous rattrape inévitablement en fin de journée et aujourd'hui ne fait pas exception. Mais l’euphorie de la descente est de courte durée. Un trou plus profond qu’il ne paraît, arrête net ma roue avant et, de ce fait, ma descente. Je n’ai que le temps de me propulser sur le côté et je tombe en me cognant le casque sur une roche. Il ne manquait plus que ça pour que la journée soit réellement atroce! Je me relève ébranlée, mais en un morceau et nous continuons la descente prudemment. Nous zigzaguons entre les trous et les rivières dans la pluie de fin de journée et atteignons finalement un village où nous décidons d’arrêter. Il est 17h, nous n’avons pas dîné et nous sommes complètement vidés. Nous trouvons du réconfort dans un kiosque à thé, seulement quelques planches de bois et de la tôle qui font la différence entre la misère et le confort. Nous y grignotons et montons le campement tout juste à côté pour se protéger du vent. C’est alors que les véhicules qui étaient arrêtés dans notre direction au bas du col affluent. Plusieurs s’arrêtent pour discuter avec nous et regarder notre étrange maison de toile. Le marchand de thé est bien satisfait, car les affaires sont bonnes lorsque deux étrangers campent à côté!


Fatiguée au sommet du Zojila!



Le corps n’est toujours pas remis lorsque nous nous mettons en route le lendemain. La route est encore désastreuse jusqu’au village de Drass et une bonne distance nous sépare de notre objectif, Kargil. La beauté du paysage me console quelque peu et la route est principalement descendante. Mais chaque petit buton qui monte, renvoie une douleur aiguë dans mes jambes et je peine à trouver mon rythme durant cette longue journée. Nous croisons durant cette journée deux cyclistes Suisses qui vont en sens inverse et qui avancent rapidement sur leur beau bicycle de montagne. Une voiture les suit avec leurs bagages. Ah ce qu’ils flottent sur l’asphalte...Alors que la lumière apparaît au bout du tunnel, les cinq derniers kilomètres, qui remontent la rivière Suru, sont particulièrement abruptes et souffrants. Nous nous arrêtons finalement dans une « guesthouse » et je dois avoir l’air d’une morte vivante si je me fie à comment je me sens. À Kargil, j’ai l’impression que mon esprit a quitté mon corps et je reste deux jours dans la chambre d’hôtel à me reposer. Durant ce temps, les musulmans fêtent le début du ramadan, mais je n’en ai pas conscience.


On rencontre souvent des bergers et leur troupeau, comme ici près de Drass.



Remise du Zojila, nous quittons Kargil en une belle journée ensoleillée. Nous montons vers notre second col, le Namikala. En chemin, nous nous arrêtons à Mulbekh, village connu pour son « Bouddha » gravé à même une paroi rocheuse. Le Cachemire fait peu à peu place au Ladakh, les paysages devenant de plus en plus arides. Nous retrouvons avec plaisir les manifestations de la culture bouddhiste et embrassons avec passion les panoramas qui s’offrent à nos yeux. Au milieu des montagnes rocheuses, reposent comme par magie des oasis de verdures où les habitants ont appris à vivre et à cultiver la terre. L’architecture est aussi bien différente, les maisons étant faites de briques de terre et d’un toit plat. Mais ce qui est exceptionnel dans ce désert de roches, ce sont ces magnifiques fenêtres où les bordures sont en bois, sculptées à la main avec une infinie minutie.


En cherchant un endroit où camper, nous demandons à un homme s’il connaît un endroit propice pour notre tente. Sans aucune hésitation, il nous invite à monter notre campement dans sa cour, entre sa maison et son jardin. Ali, notre hôte, et ses enfants sont bien contents de nous accueillir et sont bien curieux de voir tout notre barda! De notre côté, nous sommes heureux de pouvoir partager un peu avec cette famille et d’avoir des contacts si genéreux et authentiques avec le peuple ladhaki.


Trois des enfants à Ali, notre hôte à Mulbekh.



C’est donc revigorés que nous entamons le Namikala au lever du jour. De bonne humeur et sous un ciel radieux, nous franchissons presque sans peine la dizaine de kilomètres qui nous sépare du col. Le soleil plombe à 3700m d’altitude et le paysage est grandiose. Nous redescendons environ 200m avant de monter dans une vallée évasée, flanquée de superbes montagnes. Nous campons sur un plateau au bord de la route et profitons du soleil pour nous reposer.


Vue du paysage près du sommet du Namikala.



Les nuages sont au rendez-vous lors de la montée de notre second col en deux jours. Dès le début de la montée, nous pouvons voir au loin une longue antenne qui, nous supposons, trône au sommet du col. Plusieurs fois dans la montée, nous enfilons les vêtements de pluie pour les enlever quelques minutes par la suite et cela devient bien lassant. À quelques lacets du sommet, par contre, on les met pour les garder alors qu’un impressionnant nuage gris prend place en haut de nos têtes. Dans le temps de le dire, le vent se lève et se met à nous pousser de côté et de face. La progression est d’autant plus ralentie que le vent propulse sur nous des grêlons à une vitesse impressionnante et chaque parcelle de peau exposée en paye le prix. À plus de 4000m d’altitude, cette tempête prend des allures de catastrophe mais une quinzaine de minutes plus tard, nous atteignons le sommet du Foutula. Je suis frigorifiée et Yan doit aller chercher les vêtements chauds dans mes sacoches pendant que je me protège des éléments derrière la roche qui indique le col. Pendant ce temps, je dois constamment sortir de mon repère car des Indiens montés en voiture me demandent de me tasser pour prendre une photo avec la pierre. Ils ne voient donc pas que j’ai froid, que je suis trempée et que cet endroit constitue mon seul asile? Les Indiens ont le don de me fâcher parfois...


Mon « sourire » au sommet du Foutula, à 4100m d’altitude.



Mais une fois habillée plus chaudement et la photo du col prise, nous redescendons vers

Lamayuru, notre arrêt de la journée. Au fil de la descente, la pluie cesse et les nuages passent, ce qui nous permet d’admirer la superbe vallée devant nous. La route qui descend est très abrupte et parsemée de trous, ce qui nous rend bien heureux d’être montés par l’autre côté! Le village de Lamayuru met fin à toutes nos émotions négatives. Véritable miracle de la gravité, ce village est perché à flanc de montagne et constitue l’une des vues les plus mémorables de cette route. On se croirait véritablement dans un monde surréel, un monastère trônant au sommet de cet amas de grottes et d’habitations. Nous trouvons une « guesthouse » sympathique afin de nous réchauffer un peu et partons explorer ce village typique du Ladakh.


Le magnifique village de Lamayuru.



Bien que nous ayons franchi tous les cols, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Seulement deux jours et 120km nous séparent de notre ultime destination, Leh, où nous sommes censés rejoindre nos amis Stéphanie et Étienne. À peine partis de Lamayuru, alors que nous enfilons pour une énième fois nos vêtements de pluie, nous voyons un bus nous dépasser et des bras sortis de la fenêtre qui s’agitent frénétiquement. Steph et Étienne déjà? Puisque nous descendons, nous essayons de rattraper le bus et passons près d’y parvenir alors qu’au bas des lacets, un camion est renversé sur le côté et cause un embouteillage. Le camion était plein de bouteilles de bières et nous naviguons prudemment entre les morceaux de verre. Pendant ce temps, le bus part et nous ne le reverrons plus. Un peu plus tard, à un poste de contrôle, un gentil mot nous attend de la main de Steph, nous confirmant sans aucun doute qu’ils nous ont bien dépassés. La hâte de les voir fait vite place à une lourde agonie de savoir qu’il reste encore 100km avant de les voir. Les savoir à Leh nous pousse quand même à franchir une bonne distance lors de cette journée. En fin d’après-midi, nous décidons malgré notre fatigue de monter environ 400m de dénivelé jusqu'à un superbe plateau entouré de montagnes blanches. On évite de justesse la pluie et nous redescendons en fin de journée vers Nimmu, situé à seulement 35km de Leh. Avant Nimmu se dresse une grosse base militaire et nous doutons de pouvoir trouver un endroit où camper dans cet environnement. Nous demandons finalement au propriétaire d’un restaurant qui a un large terrain clôturé si nous pouvons poser la tente chez lui. Il est très sympathique et accepte volontiers de nous aider. Il est passé 18h et après cette longue journée, sa gentillesse est la bienvenue.


Paysage géologique impressionnant près de Lamayuru.



Seulement 35km avant Leh et nous pensons arriver pour dîner! Nous partons de bonne heure pour monter ce que nous pensons être notre dernière grosse côte. Puis, dans une espèce de corridor entre deux montagnes, un terrible vent de face nous surprend alors que nous montons une section qui avoisine les 15% de pente. Se rendra-t-on jamais à Leh? Les bornes kilométriques se succèdent lentement et 10km de montée plus tard, nous commençons finalement à descendre vers la vallée de l’Indus. On file à toute allure jusqu’au fond de la vallée et nous sommes assez euphoriques d’être si près du but! Mais le Ladakh nous réserve une dernière épreuve, 8km de faux-plat ascendant. Je me résous à pousser mon vélo sur les derniers kilomètres alors que nous rentrons dans la ville de Leh et que la route devient cahoteuse. Puis, au point de rendez-vous fixé, je tombe dans les bras de Stéphanie, exaspérée, mais heureuse d’être enfin au bout de cette longue route. Comble du bonheur, nous arrivons le jour de la St-Jean-Baptiste et célébrons tous les quatre la fête nationale, nos retrouvailles et surtout, la réussite de cette route splendide et éprouvante que nous avons débutée à Srinagar et terminée à Leh.


Le dernier plateau avant d’arriver à Leh.



Nous nous reposons donc dans la magnifique ville de Leh pendant une semaine afin de reprendre des forces pour la réelle raison de notre venue ici : la mythique route Leh-Manali.

Quatre cols dépassant 4900m et 480km de route magnifique, mais totalement imprévisible. De la haute montagne à vélo. Un curieux mélange de hâte et de peur nous habite et nous nous préparons comme nous pouvons au plus grand défi de notre voyage. Tout ce que l’on espère, c’est que les éléments nous permettront de nous rendre à Manali. Pour le reste, on ne peut que tourner les moulins de prière...


On arrive à Leh, on est content!


bottom of page