« Si vous avez pédalé au Bihar, vous pouvez aller n’importe où! » nous lance en riant le propriétaire de l’hôtel. Partout où l’on passe, les gens sont intrigués et quelque peu impressionnés par notre parcours. Cela fait maintenant presque trois semaines que nous sommes partis de Kathmandu et déjà, le cap du 1000 km se profile à l’horizon. Ces kilomètres nous ont amené à voir et à expérimenter le nord de l’Inde d’une façon unique. Mais peu importe la manière de voyager, l’Inde est un pays difficile à comprendre, voire impossible pour des gens comme nous qui ont été élevés dans une culture diamétralement opposée à celle-ci. Chez nous, il existe une certaine logique dans toute chose et la pensée générale est faite de façon ordonnée, claire, sensée. En Inde, nos cerveaux rationnels sont mis à rude épreuve et parfois, il est plus simple de ne pas tenter de savoir « pourquoi » et se dire que c’est ainsi, comme font les Indiens. Nous approchons de la fin de notre première étape dans le nord de l’Inde qui se bouclera à Agra et pour l’occasion, nous avons le goût de vous partager quelques observations (très personnelles et loin d’être scientifiques!) que nous avons faites depuis notre arrivée en « incredible India ».
Le soleil se lève et nous amorçons notre journée de vélo.
1. Parlons d’abord de la conduite puisque cela fait partie de notre quotidien de cyclistes. S’il existe un code de la route, ça ne paraît pas. La police est fantomatique et les usagers de la route (particulièrement les motocyclistes) font pas mal ce qu’ils veulent. Les gens roulent normalement à gauche, mais si la route est plus belle à droite, il n’est pas rare de rencontrer des gens en sens inverse. Ah, et il faut faire attention aux vaches sacrées (ou aux éléphants) qui traversent nonchalamment les routes...
2. Cela nous mène à vous parler des routes. On vous l’a déjà mentionné, il n’est pas rare de voir une route d’asphalte se transformer en chemin forestier (sans la forêt). Nous pensons maintenant avoir compris comment ça fonctionne en construction ici... Lorsqu’une route se dégrade, ils la détruisent, la laissent ainsi, et attendent l’argent nécessaire pour la reconstruire. Ainsi, nous avons souvent pédalé de longues distances sur des routes ressemblant à des champs de bataille sans ne jamais voir un seul travailleur s’affairer à la réparer et puis soudainement arriver sur une portion flambant neuve qui ne dure jamais bien longtemps. Pour vous dire, on commence à voir des mirages lorsqu’on roule sur une mauvaise route. Au loin, c’est comme si on voyait l’asphalte, mais non... la garnotte continue! La prochaine fois que vous vous plaindrez des cônes oranges, pensez aux nids-de-dindons indiens!
On croise un éléphant sur la route!
3. L’Inde n’est pas un pays plat. En véritable inculte, je pensais que seules les Himalayas apportaient un peu de dénivelé dans ce pays, mais j’ai appris le contraire en passant des journées à monter des faux plats, à enfiler des collines et en pédalant sur des plateaux. Une grande partie centrale du pays fait partie du « plateau du Deccan » et atteint même des sommets de plus de 1500 m. Heureusement, tout ce qui monte redescend et alors que nous avons passé une journée entière à grimper entre Chitrakoot et Panna, vingt minutes ont suffi le lendemain pour retrouver la même altitude. Ouf, mais quelle descente!
4. Je ne me suis jamais considérée comme féministe, mais ici, il est difficile de rester insensible au flagrant déséquilibre qui subsiste entre les hommes et les femmes. Cela est particulièrement frappant dans les régions rurales que nous parcourons. Les femmes sont, soit dans les champs, soit en train de faire des tâches domestiques. Il n’est pas rare que nous passions dans un village sans voir une seule femme et jamais nous n’avons vu une femme seule sur une moto. Cela me choque beaucoup, surtout après être allée au Népal, où les femmes semblent beaucoup plus présentes et libres de leurs mouvements. Nous avons l’impression que la liberté des femmes est un privilège seulement présent dans les familles plus aisées et pas du tout un droit national.
Après notre longue descente, nous franchissons la rivière Ken, une des rares qui n’est pas tarie à cette période.
5. L’éducation a plusieurs niveaux de qualité. La plupart des écoles sont privées, ce qui, comme vous l’aurez compris, diminue considérablement l’accès à l’éducation pour les familles moins nanties. Quant aux écoles publiques, elles ne sont pas présentes partout et il suffit d’être plus éloigné d’un centre urbain pour que vos chances de recevoir une éducation tombent à zéro. Le pourcentage d’alphabétisation de l’Inde est apparemment de 74%, ce qui en chiffres, semble satisfaisant pour un si gros pays. Mais en réalité, plusieurs enfants que nous avons croisés ne semblaient pas aller à l’école et travaillaient plutôt avec leurs parents.
6. Le régime du nord de l’Inde est un curieux mélange d’éléments frais et de gras. Ils sont en majorité végétariens, car la viande est dispendieuse et leur religion ne leur permet pas d’en manger. Sans ce contexte, on pourrait penser qu’ils mangent bien, mais avec la quantité de beurre et de produits laitiers (car ils purifient l’âme) qu’ils ajoutent à leurs plats, les calories s’additionnent rapidement! On y mange beaucoup de plats en sauce (ou en beurre, c’est selon) accompagnés de riz ou de chapatis, des pains plats. Le « paneer » (fromage non fermenté) y est roi et les desserts sucrés, frits ou les deux ont une place de choix dans le régime d’ici. Pas besoin de vous dire que le goût de tout cela est souvent succulent mais des « bédaines » de beurre, il y en a pas mal ici!
Un délicieux « thali » composé de plusieurs petits plats en sauce et accompagné de riz et de chapatis.
7. Au grand dam de Yanick, il est bien difficile de se procurer de l’alcool. En fait, il existe de nombreuses taxes sur les produits alcoolisés et comme la SAQ, seulement les boutiques autorisées par le gouvernement peuvent vendre ces produits. Ainsi, ici à Khajuraho, une bouteille de 600 ml de bière se vend, 160rps, donc un peu plus de 3$. Et c’est pratiquement mission impossible dans les villes saintes comme Varanasi, où seuls les hôtels de luxe ont un privilège de vente. Mais détrompez-vous, cela ne veut pas dire que les gens ne boivent pas... Nous nous sommes faits un ami indien qui nous a fait goûter à du « vin blanc » indien. On achète 500 ml pour 4$ et après y avoir goûté, nous sommes bien contents de ne pas avoir acheté un litre! D’appeler cet alcool du vin est une insulte aux vignerons et cela goûtait plus le fort que d’autres choses. Impossible de savoir le pourcentage non plus, et c’est en le coupant avec du Coke que nous sommes passés au travers!
Varanasi, la célèbre ville sainte de l’hindouisme.
8. Même les Indiens ont chaud. Nous n’avons vraiment pas choisi la meilleure saison pour parcourir le pays à vélo. En fait, c’est présentement leur « été » et tout le pays atteint ses températures maximales entre avril et juin. Et quand y sommes-nous déja? Ah oui, exactement dans ces dates... Ils ne cessent de nous dire que ce sera plus chaud que présentement et je ne peux tout simplement pas concevoir qu’il soit humainement possible d’endurer une chaleur pire que celle qui règne en après-midi. Nous pédalons dès 6h à chaque matin pour éviter les chaleurs de l’après-midi... Et il y en a qui disent qu’on est en vacances!
Voilà nos dernières observations... Évidemment, elles s’actualisent à chaque jour qui passe et nous savons que le sud du pays sera bien différent du nord. Après être passés par Varanasi, Allahabad, Chitrakoot et Khajuraho, notre dernier arrêt sera Orchha. Puis, après un bref détour par Agra, nous continuerons à pédaler sur la côte ouest de l’Inde depuis Mumbai. On vous dira si « Bollywood » est divertissant!
La journée se lève sur Le Gange.